Les moissons d'Avant-Guerre

La difficile reconversion à l'agriculture.
Après le douloureux épisode du phylloxéra, il fallut dans chaque ferme, en tout cas celles qui voulaient continuer, apprendre le métier d'agriculture,et aussi l'élevage.
 
Il fallu tout d'abord arracher les ceps de vigne morts, labourer et semer, tout en continuant à nourrir la famille sans avoir de revenus. Heureusement chacun avait un potager et élevait quelques cochons et volailles.
Il faudrait aussi agrandir les écuries, le commerce du lait commençant à se développer avec les gros bourgs tout proche, et puis le fumier du bétail permettrait d'amender et enrichir ce sol calcaire, peu propice.
 
Peu à peu, avec les premières récoltes, le moral repris dans les chaumières. 
Il avait fallu augmenter le nombre de bœufs et de chevaux, sachant qu'ils étaient indispensables pour les travaux dans les champs,

Chaque ferme possédait plusieurs attelages qui étaient la fierté de leurs propriétaires.
André Giraud et ses bœufs dans la plaine de La Foye
[source : Souvenirs de Beauvoir-sur-Niort et de son canton, André Chaigne]

Dès l’automne on labourait les parcelles moissonnées. Ensuite, à l’automne ou au printemps, c’était les semailles : blé, orge, avoine… il fallait un peu de tout.

L'automne venu, on labourait la terre en préparation des semailles.
 
Ce ne sera qu'après la guerre de 14, que la mécanisation se développera. On verra l'arrivée de charrues plus perfectionnées, de herses, et même des moissonneuses-batteuses et lieuses dont les premiers modéles venaient des États-Unis.
Mais ce nétait que des machines tirées  par des chevaux. Les premiers tracteurs arriveront bien plus tard, au milieu des années 30, et encore que dans les plus grosses fermes.
 
L'élevage, une importante source de revenus dans la région.
Il faut savoir qu'en cette fin du XIXème siècle, un important commerce de Chevaux, Ânes, Mulets et Baudets s'était développé dans tout le Poitou, en particulier avec l'Espagne, et nombreux venaient les acheteurs de ce pays aux foires régionales. D'ailleurs il en reste encore une race spécifique "Le Baudet du Poitou", qui continue d'être élevé dans les régions de marais.
Les habitants de nos villages voulurent se lacer dans l'aventure, mais l'élevage de ces animaux était très délicat, en particulier à cause des nombreuses maladies.
 
Sous l'impulsion d'Alphonse Arnaud, Alphonse Martin et Émile Benoist, trois propriétaires important de La Foye, un syndicat agricole fut créé en Mars 1898, afin de partager les informations et s'entraider dans cet élevage.
Un livret fut distribué à chaque adhérent, et l'on peut y lire que la plupart des agriculteurs de la commune y adhérèrent.

Pour lire le contenu de ce livret, cliquer sur l'image ci-dessous (à droite la version ré-éditée en 1914)
 
   
Les moissons
Chacun veillait à ses champs, puis en fonction des aléas du temps, les moissons débutaient vers la mi-juillet. Les grains chauffés par le soleil mûrissaient plus ou moins tôt dans la saison, et l’on s'en remettait à l'avis des anciens pour évaluer la meilleure date.

A cette époque  les moissons se faisaient à l’aide d’une machine tirée par des chevaux. Le but était de couper la paille à ras-le-sol, sans perdre de grain, et de la lier en gerbes.


Passage de la moissonneuse d'antan, tirée par des chevaux.

Les gerbes étaient rassemblées en petits tas, qui restaient dans les champs tant que les moissons n’étaient pas terminées. Le moment venu, on les entassait dans de grandes charrettes pour les transporter soit dans la cour des fermes, soit, le plus souvent, dans des prés attenants.



On les empilait les unes sur les autres pour confectionner de gros gerbiers, d’avoine, de blé ou d’orge.


Puis on attendait septembre, le mois des battages. 

Les battages
Jusqu-au début des années 1900, le battage se faisait au fléau dans la cour de la ferme. C'était très fastidieux et très lent.
 
 
En France, la première "machine à battre" fut crée par Célestin Girard en 1865.

Elle était très rudimentaire, construites en bois, mue par une machine à vapeur actionnant une longue courroie, mais elle apportait un progrès très important.

Dés le début des années 1900, des entrepreneurs proposèrent aux fermes manquant de bras, ou aux veuves, de gérer les moissons (foin, blé..) moyennant la signature d’un bail pluriannuel.

En 1910 on trouve un bail entre Gustave Bouhet, entrepreneur, et La veuve Boyer pour gérer plusieurs parcelles qu’elle possédait sur La Foye et Usseau.
 Du matériel dédié aux moissons était apparu aux États-Unis, puis en France. Hélas il coûtait très cher et personne ne pouvait l’acheter.
 
Mais ce ne sera qu’après la guerre de 14, qu'apparaîtront apparurent les premières machines à battre.dans nos campagnes. Le coût était très important pour quelques semaines d'utilisation par an, c'est pourquoi apparurent des sociétés de battages, mettant en commun le matériel nécessaire.

A La Foye, une grande partie des cultivateurs de la commune s’associèrent pour créer une coopérative de battage. Elle verra le jour e 6 Juin 1920, sous la présidence d’ Auguste Binet, sous le nom de "Société coopérative de battage de La Foye-Monjault". Elle couvrait tous les villages de la commune. 

Ayant eu  du succès, elle sera reconduite en Juin 1930 pour une période de 5 ans.

Lors de l’assemblée de Novembre 1929 sous la présidence d’Auguste Jamard, la « Société Coopérative de Battage » définira ses statuts. Une fois validé, le règlement sera imprimé dans un petit fascicule remis à chacun l'année suivante.

 
Pour lire le contenu de ce livret, cliquer sur l'image ci-dessous : 
 
 
 Pour chaque saison de battage, une facture sera envoyée aux sociétaires en fonction du nombre de quintaux de grains mis en sacs.
 
 
Ci dessous, des factures de 1933, pour Honorine Boyer.

Le matériel
Le matériel de battage se composait d’un tracteur, d’une batteuse et d’une presse.

Chaque sociétaire payait le matériel à l’heure, sur l’argent des récoltes, à la  vente du grain, lors de l’assemblée du mois de novembre. En avance sur son temps, la société était ouverte aux femmes non mariées majeures, et aux veuves. Chaque membre devant être agriculteur et payer un droit d’entrée.

 
En 1920, avec l’argent des sociétaires, l’on put acheter un premier tracteur, un Mc Cormick 10-20 HP
Ce tracteur, révolutionnaire pour l’époque, fonctionnait au pétrole, et son moteur 2 cylindres disposait d’une puissance de 10 chevaux pouvant tracter 5 tonnes, et d’une puissance de 20 chevaux au niveau de sa poulie qui entraînait une grande courroie destinée à  actionner une machine à battre.
Ses roues étaient en fer, et endommageaient les chemins.
Il consommait énormément, pour aller le faire réparer aux établissements Guérin à Mauzé, il fallait 70 litres de pétrole à l’aller, et autant au retour, et cela prenait près de 3 heures.
 

Fiche de déclaration de tracteur effectuée par Auguste Binet en Juillet 1920



Plus tard, la société achètera un tracteur plus petit mais plus puissant pour les moissons, un Massey-Harris fonctionnant au gasoil,  puis pour les battages un « Titan » d’INTERNATIONAL HARVESTER COMPAGNIE, plus connus sous le nom de « Brutus » :
 

ainsi qu’une nouvelle machine à battre, plus moderne.
 

Cette société sera dissoute après 1960, date à laquelle elle laissera la place  à des entreprises de battages indépendantes.

Puis plus tard  chaque ferme possédera son propre matériel : Les moissonneuses-batteuses.

 
 
Le hangar
Afin d’entreposer son matériel, la société louera en Juillet 1930, un hangar appartenant à la mairie, moyennant un loyer annuel de 250 francs, avec un bail renouvelable de 5 ans. Ce hangar était situé au centre du bourg, à coté des halles (actuellement restaurant le Rabelais).

 

 
En 1951, le Hangar, devenu vétuste, devait faire l’objet de travaux importants, ce que ne pouvait assumer la société. Le bail  arrivant à expiration, il fut prolongé pour quelques années, mais son loyer qui avait déjà été ré-évalué à 250 francs en 1943, sera porté à 2500 francs annuels en Février 1951 sur décision du conseil, afin de recouvrer les dépenses.   
 
 
 
Ensuite vers 1955 les matériels furent entreposés dans des hangars au coin Joyeux.  
 
En 1959, toujours sous la présidence de Paul Jamard (maison jouxtant le cimetière), la société employait Marcel Briffaut, employé communal, pour la campagne de battage qui durait 3 ans.
 
 
La campagne de battages
Fin août, début Septembre commençait le mois des battages qui en fait durait 40 Jours. 
 Cela nécessitait un nombre important de travailleurs, donc chaque exploitation fournissait une ou deux personnes pour accompagner la batteuse de ferme en ferme.

A La Foye il y avait au moins uns soixantaine d’hommes qui s’unissaient pour aller travailler chez les uns et les autres. L’entraide était alors la règle dans les campagnes et on s’échangeait des services.

 
Les premières machines à battre
Ce jour là, arrivait dans la cour de la ferme «l’énorme » machine à battre, que se partageait tout le village. Elle pesait près de 5 tonnes, toute en fonte. Elle était très perfectionnée pour l’époque : elle triait la paille qu’elle rejetait à un bout, et le grain à l’autre, Quant à la « balle » elle sortait par un autre orifice. On l’amenait près du gerbier avec une paire de bœufs. 
 
 
 
Tout le monde se souvient de « Joli et Vermeil », une paire de bœufs rouges d’Albert Prunier, que conduisait Maurice Decemme, et qui étaient prêts pour tous les travaux de force. 
 

"Brutus"

À gauche la machine à battre. On distingue deux hommes
qui s'affairent au dessus, ainsi que tous ceux juchés sur les gerbiers.
Au premier plan le tracteur chargé de déplacer la machine.

 
Au fil des années, ce tracteur était devenu une vraie légende dans le village et on l'avait surnommé « Brutus », en raison de son bruit assourdissant, de ses pétarades incessantes qui s’entendaient d'un bout à l'autre du village. C'était un vrai tas de ferraille vibrant de partout !
Dès qu'ils l'entendaient, les enfants courraient derrière, en poussant des cris.
Son conducteur, Gabriel Bichon, en était très fier. C’était un bon gros, de visage drôle, tout rouge. Un bon vivant, célibataire endurci, que tout le monde appelait "Bielle". La légende disait qu’il buvait autant que son tracteur. Tout le monde l’aimait, surtout les enfants à qui il racontait des histoires d’autrefois.
Plus tard on équipera ses roues de bandes de caoutchouc pour préserver les rues. 
 
 
La machine était placée prés du gerbier. Elle était reliée au tracteur par de grandes courroies posées sur des poulies. Il fallait bien les régler car elles sautaient fréquemment. Trois hommes montaient dessus. L’un d'eux avait pour charge de couper les liens des gerbes. C’était un poste très dangereux réservé aux plus expérimentés, car l’on risquait de tomber dans le grand entonnoir qui avalait les gerbes. Par le passé, il y avait eu plusieurs drames à La Foye, avec leur lot d’estropiés. Les anciens  se souviennent d’Auguste Souchet qui y était tombé, en Vendée. Il était tout déformé. 
 Les deux autres devaient attraper les gerbes que leur lançaient les hommes montés sur le gerbier. 
 

Certains s’activaient à la paille, les autres au grain qui sortait à l’arrière de la machine par des godets, auxquels on attachait des sacs qui se remplissaient.

Les hommes à l'arrière de cette machine assistent
au remplissement des sacs de grain.


 
 
Quand ils étaient pleins, on les donnait aux porteurs de sacs, un groupe de jeunes en général, parmi les plus costauds du village. Ceux-ci les portaient jusqu'aux greniers et les vidaient sur le plancher, où le grain pouvait sécher avant d’être vendu.

Au premier plan à droite, on voit un porteur de sacs avec sur les épaules
une charge de quelques 80 kg de grains.
   

Il fallait être fou, car la plupart de ces sacs pesaient 80 kilos, voire 100 kilos pour certains. Ils devaient être portés sur de longues distances, montés par des escaliers souvent étroits et branlants, parfois même au deuxième étage. Il fallait alors les vider et redescendre en courant, puis recommencer jusqu’au soir. Encouragés par les anciens, les jeunes qui voulaient prouver leur force relevaient le défi, et les plus costauds étaient de vraies célébrités locales. 
Il est vrai que le petit verre de gnôle bu à chaque fois aidait à prendre des risques. Et l’on comptait les sacs de chacun avec des petits traits au crayon sur les embrasures de fenêtres. On en trouve encore  les traces.
Le soir, c’était l’occasion de discussions interminables autour d’un verre.  
 
 
 
Dans les années 50, on se souvient de Paul Jamard, Robert Pied, Norbert Chatain, Jacques Sauvaget, Jean Ploquin, tous très costauds. Certains y rajoutaient même des pierres par défi.

 
Dans les greniers, en fin de journée, on accumulait ainsi des tas de grains impressionnants : orge, blé ou avoine, qui faisaient ensuite le bonheur des souris. D’autres montaient le pailler, certains récupéraient la balle qui servait à alimenter le bétail. C’était l’été, il faisait chaud, et tous ces travailleurs avaient soif. Il y avait beaucoup de poussière qui se dégageait de la paille. Dès le matin, des bouteilles de vin ou de la piquette (vin coupé avec de l’eau) avaient été placées dans des baillottes d’eau fraîche. On désignait alors un membre de la famille dont le rôle était de servir à boire. Il se promenait de l’un à l’autre avec son panier plein de bouteilles et de verres. Il avait fort à faire...

À la fin de la journée, tout le monde était « chaud ».

Les moissons sont terminées et tout le monde est éreinté.
Sans compter la soif et l'appétit !
 
L'art de faire un pailler
Certains récupéraient la balle (écorce de grain), qui servait à alimenter le bétail, d’autres montaient le pailler.Les bottes de paille serviraient plus tard pour la litière dans les écuries, et autrefois pour garnir les matelas des lits.

Il fallait disposer bien d’aplomb les bottes pailles et les croiser afin d’assurer la solidité, et surtout bien disposer celles du dessus afin d’empêcher l’eau de pénétrer.  On y mettait un bouquet au sommet quant tout était fini.

A la Foye, l’un des grands spécialistes était Raymond Drut.

 
Le repas de battage
Pendant ce temps, les femmes organisaient le repas de battage. La veille du grand jour, elles avaient tué de nombreuses volailles et lapins, afin de satisfaire l’appétit de tout ce monde.

Et dès le matin i y avait le petit déjeuner pour « Biel ».

Puis à midi  grand déjeuner qui réunissait tout le monde.

A 16 heures, goûter champêtre qui se composait de nombreux plats froids, qui se dégustaient sur l’aire de battage.

Et le soir tout le monde se réunissait à nouveau pour le dîner. Chacun y allait de sa petite chansonnette, pour finir la soirée en gaîté.

Il s’y buvait beaucoup de vin, au moins une demi-barrique par ferme !


Le repas de battage

À midi, il y avait le grand déjeuner, puis à 16 heures le goûter champêtre, qui se composait de nombreux plats froids, et qui se dégustaient sur l’aire de battage. Enfin, le soir, on servait le dîner. Chacun y allait de sa petite chansonnette, pour finir la soirée en gaîté.


Selon les fermes, les battages pouvaient durer jusqu’à quatre jours. C’était une opération d'envergure. Une fois terminés chez l'un, les battages continuaient, mais cette fois-ci chez le voisin. 
Et jusqu'à l'arrivée des premières moissonneuses-batteuses dans les grandes fermes au début des années 60, ce sera encore Brutus qui, pétaradant et crachant, emmènera la machine à battre de ferme en ferme.
Parfois il y avait des ratés, et il fallait atteler les bœufs pour tirer le tout.
 
Battages à La Foye.
Un certain nombre de photos ont été retrouvées de ces périodes mémorables.  Souvent de mauvaises qualité, elles sont le souvenir d'une époque aujourd’hui révolue.

 

Battages  chez James Poulard en 1945

Sur la batteuse : Maurice Decemme,
Sur le gerbier: Louis Baud, Marcel Rouet, Pierre Laidet, En Bas : Gabriel Bichon.
 

Battages  chez James Poulard en 1945.

De gauche à droite: Jacky Cacault, Robert Pied, Jean Ploquin, Henri Souché, Claude Roche, Jacques Morin, Jacques Sauvaget, Maurice Decemme, Mlle Gaborit, Max Chatain.
  
Chez James Poulard en 1945 : charrette pour transporter les sacs de grain.
De gauche à droite : un enfant, André Chatelain, Paul Jamard, Guy Vivier,
Philbert Geanis, Norbert Chatain, Jacques Sauvaget, un inconnu, Robert Pied,
André Damour et Gabriel Beau. [source : Souvenirs de Beauvoir-sur-Niort
et de son canton
, André Chaigne]




Battages au Logis.
 

 
 

 
Repas de battage au Logis au milieu des années 30.
Derrière à gauche la grand-mère Alina Vinatier servant le café, Joséphine Morisson et sa fille Jacqueline Morisson (avec les lunettes), devant la grand-mère Augustine, Irène Prunier, l’oncle Morisson avec sa moustache, et derrière Albert qui sert à boire.
 
Battages au Grand-Bois.
Chez la famille Moreau à la fin des annéees 40. 
 
 
 
Qui saura reconnaitre les personnages ?
 
 
 



 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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