Les bugeailles d’antan


La bugée ou bugeaille
[source : Les lavoirs des Deux-Sèvres]

Jusqu’aux années 1930-40, la coutume était de faire blanchir tout le gros linge (draps, torchons, serviettes) une ou deux fois par an, au printemps. C’était la grande lessive, appelée « bugeaille » en patois, ou bugée [1].

Jusqu’à cette époque, les draps étaient changés chaque mois. Après un rapide lavage à l’eau claire puis au savon de Marseille, suivi d’un rinçage, ils étaient séchés. Après quoi, en attendant le jour de la bugeaille, on les étendait dans les greniers sur de grandes perches horizontales, accrochées aux poutres par des fils de fer. Et parfois trente à quarante paires de draps attendaient ainsi le grand jour. Pour tenir toute l’année, il fallait en avoir de grandes quantités. Même chose pour les serviettes et torchons, ces derniers étant le plus souvent coupés dans de vieux draps.

La bugeaille consistait à faire bouillir le linge afin de lui rendre toute sa blancheur. Pour cela on utilisait de la cendre (car contenant des phosphates). C’était un gros travail pour les femmes et il fallait s’entraider : porter l’eau, soulever, tordre et étendre le linge, sans oublier de préparer les repas… car pendant ce temps, les hommes étaient aux champs. Heureusement les grands-parents étaient là pour s’occuper des enfants.

À la Foye, cela se passait généralement au mois de mai. Entre voisines, on décidait du jour et on allait chez les unes et les autres. Un mois entier y était consacré. Chacun avait préparé à l’avance des sacs de cendre bien tamisée et exempte de résidus de charbon. La cendre provenait des feux de cheminée. Au cours de l’hiver, on l’avait gardée et placée dans de grands sacs.

La veille de la bugeaille, les draps et le linge étaient descendus des greniers et mis à tremper dans des cuves, jusqu’à la fin de l’après midi. Là, on le retirait pour le mettre à égoutter sur des tréteaux ; les draps étaient tordus pour s’égoutter plus vite. Dans chaque ferme il y avait une buanderie avec une cheminée et une ou deux ponnes [2] (cuve en pierre de 100 à 200 litres) qui étaient posées sur un socle en maçonnerie. Dans le fond on plaçait les sacs de cendres, que l’on superposait en intercalant des couches de linge. Parfois on insérait quelques racines d’iris afin de le parfumer.


Exemples de ponnes. La ponne dans le Poitou était une grande cuve en pierre
installée à côté d’une cheminée dans une dépendance de la maison.

Le jour venu, on mettait de l’eau à bouillir dans de grands chaudrons en fonte appelés « poêlonnes », que l’on posait sur un trépied dans la cheminée, et sous lesquels on allumait un feu. Dès qu’elle était bouillante, on « coulait la bugeaille », c'est-à-dire que l'on versait l’eau sur le linge et les cendres à l’aide d’un potin en fer blanc ou en cuivre [3] (sorte de casserole à manche). On renouvelait ce geste plusieurs fois, jusqu’au soir.

Le lendemain on retirait le linge et on le chargeait sur des brouettes, pour aller le rincer à l’eau claire. À la Foye, il n’y avait ni rivière ni lavoir, et il fallait utiliser des baillottes [4], grands bacs en bois, qu’il fallait remplir plusieurs fois avec l’eau du puits. C’était une vraie corvée.

Après trempage, il fallait battre le linge avec un battoir, le rincer à nouveau et ensuite le tordre. Les femmes s’y mettaient à plusieurs car les draps de toile mouillés étaient très lourds. On remettait ensuite le linge dans la brouette, et en route pour l’étendage. Par temps sec on l’étendait sur l’herbe du pré, en le laissant une nuit durant, car les anciens prétendaient que les rayons de lune blanchissaient le linge. Il faut reconnaitre qu’avec le lavage à la cendre, le linge était d’une grande blancheur. Après le séchage venait le pliage, puis le rangement dans de grandes armoires. Et l’année suivante on recommençait.

En dépit des efforts requis, ces bugeailles se passaient dans la bonne humeur. Malgré les mains dans l’eau froide, le travail en groupe permettait un peu de détente, et la journée terminée, tout le monde se retrouvait autour d’un bon repas.

Le lendemain, on recommençait chez une voisine.

Au village – Le coulage de la lessive
[source : La bugée, ou lessive à la cendre,
Les Cyber-Généalogistes de Charentes Poitou]

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Notes
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[1] Selon le dictionnaire de patois poitevin de Gabriel Lévrier, 1867.
[2] Ponne ou panne, autre terme du patois : cuve à lessive.
[3] Potin ou potain, du patois : vase à couler la lessive.
[4] Baillotte : baquet, en vieux français. Le patois pour ce mot est bassiot, lui même dérivé de baille, et dont est issu bassée, auge en pierre. 


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