La Bonne Dame et le Malin


La Vierge, Gensac la Pallue
[source : Parole et Patrimoine]

Selon Véronique de Naurois :

Les Deux-Sévriens maintiennent l’équilibre entre la tradition et le progrès. Si les jeunes ne parlent plus le patois, leur langue est encore « truffée » de locutions ou d’expressions que l’on doit à l’observation et à l’imagination populaires.

Temples et églises se côtoient, catholiques et protestants sont désormais amis. Les Deux-Sèvrines sont attachés aux traditions de leur culte, et le pèlerinage de la Septembrèche, chaque année en septembre, voit se réunir de nombreux fidèles dans le site agreste de Celles. Selon une chronique du XIIe siècle, le culte voué à la Vierge de Celles remonterait au temps ou Clovis serait venu remercier Notre-Dame. L’homme, ici, est souvent superstitieux. On le dit très religieux, mais il raille sans vergogne son curé, et l’on peut l’entendre sur la place de l’église : « Ah ! monsieur le Curé, qu’ais-je fait au Bon Dieu pour avoir un tel fils ? Il est fainéant comme un prêtre ! »

Dans le pays, on respecte le culte des fontaines et des pierres, car on tient par mille racines à tout ce passé de croyance. Ainsi s’expliquent les coutumes de toutes sortes, les explications de phénomènes physiques, les interprétations tout originales des voix de la nature. Il faut connaître ses légendes, ses pierres branlantes (pierre levées de Pierre-Pèse à Panissac, tumulus à Bougon, pierre gravées de Saint-Aubin-de-Baubigné), ses chansons pour être enjominé (comme on dit en patois) par l’ambiance de ce département. On frôle, sans toujours s’en douter, des pierres marquées, où l’un vous montre « le pied de la Vierge », l’autre « les griffes du diable ».

Et partout on retrouve ces deux influences contraires : celle du Malin et celle de la Bonne Dame, cette dernière étant parfois la fée Mélusine. Les hommes, jadis, étaient hantés par l’au-delà. Ils personnifiaient l’abstrait – la terre et le ciel devenait « Pierre et Cail » –, peuplaient les nuits de revenants et d’êtres surnaturels. Leurs légendes sont en train de se perdre. Que ce soit dans la plaine, le boccage, la Gâtine ou le Marais, les histoires contées sont les mêmes, à peine déformées d’une commune à l’autre. Les réunions de chats et de farfadets existent partout. À Saint-Vincent-la-Châtre, les chats de la contrée fêtaient leur carnaval dans le bois de la Pinaudière. On y trouve deux places nues et stériles où l’herbe ne pousse pas. À Périgné, au lieu dit la Belle-Croix, demeurait la « bassée » aux chats, c’est-à-dire l’auge aux matous, reste d’un dolmen creusé d’un trou plein d’eau. Au clair de lune, les chats noirs menaient les sarabandes. Quelques fois, les lièvres venaient participer au sabbat.


La fée Mélusine

Farfadets et farfadettes, êtres familiers, nains au corps difforme, vivaient dans des cavernes ou des souterrains. Leurs maléfices, peu graves et empreints d’une certaine ironie, demeurent en mémoire à Cirière, Terves, Pougne-Hérisson, Alonne et Saint-Hilaire-la-Palud. À Saint-Pompain, une caverne presque inaccessible porte le nom « trou à farfadets ».  À la chapelle-Largeau, les gnomes gardentun trésor au lieu dit Pyronne, un énorme rocher qui se soulèverait à minuit, la veille de Noël. Les pactes avec le diable abondent dans les légendes ; ainsi, les apparitions de la poule noire mystérieuse, de Garou, du Cheval Mallet et la Chasse Gallery.

Si paganisme et christianisme se mêlent facilement en ces récits, les souvenirs réels des anciennes guerres persistent également. Les protestants entretenaient la mémoire des dragons du roi, des chouans honnis. On parle de Robert le Chouan, de Jacques Bory, le Capitaine noir… « Il y a trop de chouanneries dans notre pays, on ne s’y reconnaît plus ! », dit-on.

Les plus belles légendes ne doivent rien à l’histoire. Elles appartiennent aux fontaines : fontaine bouillonnante de la Mothe-Saint-Héray et bien d’autres… La nuit, on peut encore rencontrer les feux follets, qui sont, comme chacun sait, des petites lueurs mobiles qui proviendraient d’émanations de gaz des marais, ou de « la décomposition de matières animales s’enflammant spontanément », pour donner une clarté qui ne dure que quelques instants. Le feu follet accompagne celui qui erre sur les routes, mais l’égare. Une prière suffit à l’éloigner.


Coiffe et costume de la Mothe-Saint-Héray

Pour bien connaître un peuple, il faut aussi le suivre dans ses joies et ses fêtes. On rit encore beaucoup aux menteries de jadis, à leurs extravagances, telles que « mettre ses bœufs dans sa poche », « trouver en arrivant chez soi la cane qui tamisait, l’oie qui était dans la pâte, la chatt’ qui se lavait les moains ». Quant aux chansons, elles se rattachent nettement au fabliaux du Moyen Âge, où le curé n’était guère épargné : le Bon Voisin, la Belle Fille de Parthenay… Belles sont aussi les filles de la Mothe-Saint-Héray, portant les coiffes les plus séduisantes et qu’un philanthrope du XIXe siècle, du nom inattendu de Chameau, voulu récompenser. Grâce à lui, une filles ou deux, peut être trois (faut-il encore qu’il y ait des candidates !) se marient, chaque année depuis 1821, le premier samedi de septembre, lors de la pittoresque fête de la Rosière ; ainsi se trouve-t-elle dotée d’une somme rondelette (entre 5,000 et 10,000 francs) à condition que la Rosière porte le costume local et une coiffe dont la mousseline fine s’orne de délicates broderies. Au cours d’une cérémonie qui se déroule dans l’exubérance générale, la Rosière est présentée à la foule par le maire, qui la mène à travers les rues de la ville. Voilà du régionalisme bien compris. La gaieté des Mothaises étant réputée, bonne humeur et… un rien de gauloiserie sont alors de mise.

Texte de Véronique de Naurois, avec la collaboration d'Odile Dot
Pays et gens de France, Poitou, Charentes, Vendée, chapitre des Deux Sèvres, p7 et 8
Libraire Larousse – Sélection du Reader's Digest, 1984